La fin du mythe de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise : Le temps du design

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La pandémie de la Covid, par l’anxiété qu’elle génère, par l’obligation faite de vivre différemment, nous propulse dans un futur plein d’incertitudes. Les entreprises vont-elles devoir changer ? Le mythe de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise va-t-il résister à la formidable épreuve sanitaire et économique que nous traversons ? Face aux excès du capitalisme suspect, faut-il croire les entreprises qui, la main sur le cœur, vont annoncer qu’elles seront dorénavant plus vertueuses ? Elles doivent muter, certes, mais elles ne le feront pas par devoir, mais par intérêt face à l’émergence d’une Responsabilité Sociétale du Consommateur. Ce sont les designers qui seront les leviers opérationnels de cette mutation.

Faut-il croire les chaînes de distribution alimentaire, celles qui garnissent leurs rayons tous les matins, qu’elles ont compris le sens du mot frugalité, qu’elles ne vont remplir leurs étals que de produits bio d’agriculture de proximité, faut-il croire que les compagnies aériennes vont arrêter de faire voler leurs avions au nom de la fin du monde sans frontière et de la numérisation des échanges qui rend vain le déplacement, que les industriels de produits de grande consommation sont prêts à renoncer au concept du renouvellement de marché…Évidemment que non, car il en va de leur survie, de leur développement, et de la production de richesse, de notre autonomie économique, et, là encore, de notre liberté.

Faire croire que responsables, les entreprises deviendraient spontanément vertueuses par devoir est une absurdité, voire une imposture. C’est par ailleurs la reconnaissance qu’elles ne l’étaient pas, ce qui est faux, pour peu que leur activité était conforme au droit. C’est enfin prendre les citoyens-consommateurs pour des idiots. Une entreprise n’a jamais vendu, ne vend, ne vendra jamais un produit ou un service par devoir, mais toujours par intérêt et c’est d’ailleurs en cela qu’elle est vertueuse. La responsabilité sociétale de l’entreprise est un mythe trompeur qui voudrait gommer le capitalisme dont elle se nourrit alors qu’il en est l’ombilic.

L’entreprise est une organisation, un système. Par essence, intrinsèquement, elle n’a pas de morale. Que ses dirigeants, ses salariés soient vertueux et solidaires, qu’ils participent hier ou aujourd’hui d’un formidable mouvement d’aide et de compassion envers ceux qui en ont besoin, ou que plus généralement ils soient soucieux de l’avenir de la planète est évidemment souhaitable et louable. Qu’une entreprise produise et vende conformément au droit est la moindre des choses. Mais « en faire un objet de morale » n’est qu’un artifice marketing et parfaitement contreproductif in fine car la vertu est sans borne, alors que l’entreprise est limitée soit aux possibilités de la technologie et aux opportunités du marché. On pourrait trouver vertueux que Danone ne vende pas d’eau d’Evian à l’autre bout de la planète, mais que deviendrait cette formidable marque mondiale, ambassadrice de la France par ailleurs, dans ce cas ?

Les patrons de la grande distribution sont de formidables entrepreneurs et des plus respectables, mais ils n’ont pas décidé de doubler les capacités de leurs caddies dans les années 80 par devoir et morale. Ils l’ont fait par intérêt et parce que leurs clients le souhaitaient, soutenus par des politiques et les économistes qui y voyaient le moyen de juguler l’inflation. Pensez-vous sérieusement qu’ils vont en faire aujourd’hui des plus petits au nom de la frugalité ? S’ils privilégient aujourd’hui et demain les circuits courts et l’entente avec des producteurs locaux, ce n’est pas par bonté d’âme, c’est parce qu’ils y sont contraints par l’émergence d’une conscience qui rejetterait une économie libérale, mondiale et globalisée. Et c’est parfaitement respectable. De leur gestion avisée dépendent des milliers d’emplois. La « grande distribution » est un formidable levier de création de richesse qui profite à tous. Vouloir en faire un lieu de vertu, c’est encourager et cautionner tous les agriculteurs de proximité pour qu’ils visitent les magasins tous les matins afin d’y détruire les produits issus d’ailleurs.

Les entreprises doivent muter pour tenir compte de l’émergence d’une Responsabilité Sociétale du Consommateur

La grande vertu de la crise que nous vivons, c’est que probablement nous allons consommer autrement, moins, plus sain pour soi-même, plus économe pour la planète. Le processus est déjà entamé, il va s’amplifier. Même si la Covid, un virus, n’avait rien à voir avec les excès d’un capitalisme non contrôlé, l’adversité à laquelle nous devons faire face interroge immanquablement sur le monde dans lequel nous voulons vivre demain.

Les entreprises vont devoir changer parce qu’elles y sont contraintes par un marché plus responsable. C’est leur intérêt. Nous n’achèterons plus les services d’une entreprise qui pollue ou plus généralement qui ne respecte pas les codes éthiques qui s’imposent à nous pour sauver la planète et ses ressources. C’est la fin de la Responsabilité Sociétale des Entreprises qui n’est qu’une tentative désespérée à vouloir moraliser l’entreprise qui cherche à se justifier d’un crime qu’elle n’a pas commis, ce qui est vain par essence, au profit de la Responsabilité Sociétale du Consommateur, concept émergent à partir de laquelle les entreprises vont devoir muter. Muter est une exigence pour satisfaire ces nouveaux marchés, l’innovation en sera le levier.

Le design ou donner sens et forme à ce qui est technologiquement possible et économiquement profitable

La nécessité d’être en capacité de s’adapter rapidement aux nouveaux usages voire de muter radicalement, de changer de métier, de passer du produit au service est devenu essentiel dans un monde bouleversé par les évolutions des contextes économiques, sociaux et sociétaux. Le changement ne s’ordonne plus autour de la capacité à produire ou à vendre tel ou tel produit ou service mieux que les autres, mais autour du sens perçu, de la mission, du rôle joué à bâtir le futur. C’est ce qu’exige la Responsabilité Sociétale du Consommateur. Apple ne fabrique pas des iPhones, Apple se veut prométhéen, il prétend relier les hommes à Dieu ; La Poste ne trie plus le courrier, elle ne vend plus de timbres, La Poste se définit dorénavant comme lien social de toute une population d’un territoire ; Nestlé ne vend plus de yaourts, Nestlé nourrit la planète… Dès lors que l’activité est devenue mission éthique et sacrée, les entreprises améliorent leur intelligence au changement, leur potentiel pour passer d’un secteur à un autre, sans pour autant changer de métier mais en le définissant différemment des vieilles références industrielles et marketing dont le capitalisme se nourrit mais qui sont remises en question.

Le design a cette vertu de représenter le changement, de spéculer sur les usages de demain et de leur donner du sens. Imaginer, représenter, dès lors expliquer demain, l’appliquer aux produits, aux emballages, aux aménagements d’espace, aux outils multimédias, c’est en permettre l’appropriation, l’acceptation. C’est donner sens au futur et le rendre moins incertain. Et donc moins menaçant. Demain est incertain par essence. Dans quel monde vivrons-nous demain ? Quel monde allons-nous léguer à nos enfants ? Demain peut être radieux ou bien terrifiant, selon le sens qu’on veut bien lui donner. Pour le designer, demain est une opportunité : il dessine, représente, donne forme. Il donne sens aux imaginaires qu’il matérialise pour les rendre objectifs et acceptables. Il expérimente, il applique, il rend vrai, réel. Il se projette avec l’objectif de faire œuvre de mieux et de progrès. Comment faire autre chose – parce que le monde nouveau nécessite autre chose – en améliorant sans cesse. C’est au designer de donner forme et profondeur au monde dans lequel nous voulons vivre.

Relativement à l’entreprise, le design parce qu’il spécule sur les usages de demain, permet de prévoir, d’anticiper, de projeter l’avenir et les nouvelles stratégies de mutation et d’innovation. Il donne sens à la technologie et se substitue au Marketing dont l’exigence de consommation ne correspond plus aux enjeux auxquels les consommateurs responsables sont confrontés. La société de consommation se meurt au profit d’une société de contribution ou chaque consommateur entend jouer un rôle au-delà de la satisfaction de son besoin.

Les dirigeants d’entreprise auront à prouver demain leur engagement à s’adapter à l’émergence de la Responsabilité Sociétale du Consommateur. Ils devront le faire ni par bonté, ni par honnêteté mais parce qu’il en va de leur modèle économique et de leur développement. C’est le design et les designers qui vont conduire ce changement. Elsebeth Gerner Nielsen écrit : « les entreprises du 19ème et du 20ème siècle se sont poser la question de ce qui est technologiquement possible et économiquement profitable, celles du 21ème se poseront la question de ce qui fait sens ». Le design va devenir la clé des entreprises qui pensent à leur avenir.

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