Education, Chat GPT et autres diableries, ou l’estrade renversée.

Partager :

Il y a 6 ans, je publiais dans les colonnes d’Office et Culture un article au titre provocateur « Qu’est ce qu’être humain quand les robots seront plus intelligents que nous ? ». Il avait suscité quelques réactions offensées et belliqueuses, peu argumentées néanmoins, certains pouvant se consoler par la définition de l’intelligence dont chacun peut moduler la teneur à son profit. Ils pouvaient décider aisément que l’on ne parlait pas d’eux. Les performances de l’Intelligence Artificielle modifient la donne.

50% des étudiants d’une grande école d’ingénieurs française viennent de réaliser leur mémoire de fin d’études avec le logiciel Chat GPT. Il s’agit d’un logiciel d’Intelligence Artificielle lancé par la société OpenAI le 30 Novembre 2022. Cette nouvelle version permet un réel saut qualitatif dans la production de textes, parfaitement élaborés, à partir de requête simples ou complexes. Il génère également ses propres raisonnements au-delà de la simple répétition ou paraphrase de textes existants. Si un étudiant dans une classe plagie, il est aisé de justifier qu’il doit être sanctionné, si 50% produisent via Chat GPT, alors il faudra autoriser voire encourager l’outil pour tous sinon à devoir passer plus de temps à enquêter sur l’origine d’un texte qu’à le corriger. La conséquence absurde mais inéluctable, c’est que la production du mémoire comme étant une synthèse des connaissances utiles à un projet va devoir être abandonnée, et au-delà de cela c’est tout le travail personnel à la maison qui va devoir être remis en question. Chat GPT offre également des interfaces de traduction simultanée et de dialogue permettant même l’enrichissement des textes proposés en continu. Plus on l’utilise, plus la machine continue d’apprendre. La question pour le designer, celui qui représente le monde de demain, ou bien le professeur, celui qui transmet, n’est pas de remettre en cause la pertinence de l’outil et ses dégâts sur l’intelligence, mais de se poser en conscience la question de comment nous allons enseigner demain et quel sera le rôle de l’enseignant. C’est l’estrade, celle du maître, qui est renversée avec l’interrogation ultime, « quelle est dorénavant ma position, pour susciter quelle intelligence et quelle éducation ? ».

Dall E déployé par la même société Open AI offre des perspectives analogues pour ce qui est de la production d’images à partir d’une simple description. Les images sont contextualisées selon les recommandations données au logiciel. « A la manière de Vermeer … » et potentiellement votre portrait pourrait être accroché au Rijkmuseum d’Amsterdam. Pour autant, et la question mérite d’être posée, faut-il continuer d’apprendre à dessiner ?

En clair, Chat GPT et Dall E vont mieux écrire et composer que nous, mieux dessiner que nous, et puis de mieux en mieux car les utilisateurs vont les enrichir sans cesse et leur apprendre à apprendre. Au même titre que les professeurs de langues, les professeurs d’histoire, de dessin, de graphisme…vont donc devoir s’adapter à la nouvelle donne. Il sera vain de crier aux loups, à la diablerie, ou à une quelconque damnation, personne n’échappera à cette révolution dans l’exercice de la gestion et de la production de connaissances et/ou dans l’exercice de la création. Les collégiens, les lycéens, les étudiants vont dépasser leurs maîtres sauf à les priver de leur téléphone et de leur ordinateur. Les écoles publiques de la ville de New York interdisent aux élèves et à leurs professeurs d’utiliser Chat GPT. La sanction est vaine, c’est creuser le fossé entre la vraie vie et le système éducatif qui sera vu comme obsolète. Dans l’enseignement supérieur, il faudra le mettre au programme sinon à obérer la capacité de l’étudiant à être embauché dans les entreprises qui l’utiliseront.

Faudra-t-il continuer d’apprendre les langues étrangères ? S’il s’agit uniquement de communiquer, d’échanger, de faire commerce, alors l’apprentissage est vain. Chacun pourra être équipé de traducteurs simultanés qui au creux de l’oreille restitueront directement les propos de votre interlocuteur étranger. Certains métiers sont directement menacés, les enseignants, les traducteurs, les interprètes. Mais, le linguiste peut se réjouir de cela alors que l’anglais courant, vernaculaire, réduit à 5000 mots pour tenir une conversation autonome envahit la planète, toutes les langues vont pouvoir s’enrichir de nouveau sans crainte de l’incompréhension. Ne plus apprendre de langues étrangères pourrait être la condition d’en sauver de nombreuses qui disparaissent par défaut d’être utilisée au profit d’un usuel « globish ».
Mais quid des professeurs ? L’opportunité leur est offerte de réfléchir à une position différente, l’apprentissage d’une langue étrangère étant l’occasion d’enrichir sa propre langue maternelle, sa propre culture. Dans un monde globalisé, où la différence va devenir révolutionnaire, les professeurs de langues pourraient être les garants de la culture et de la diversité. « J’apprends l’Anglais pour mieux comprendre la richesse de ma langue maternelle et toutes les nuances qu’elle offre à structurer ma pensée… »

Terrifiant ou bien enthousiasmant, l’Intelligence Artificielle va s’imposer à nous. Pas sûr que demain le professeur continue d’enseigner pour transmettre du savoir. Wikipedia est à portée de clics, Chat GBT compose et restitue l’état de l’art, fait la synthèse de toutes les connaissances à un moment donné et Dall E offre à tous la capacité de dessiner. Et puis, il viendra beaucoup d’autres logiciels qui auront des performances bien au-delà de toute capacité humaine, mieux ils produiront d’autres connaissances. Certains esprits chagrins parlent de la justesse, de l’objectivité et de l’honnêteté des milliards d’information dont nous allons disposer immédiatement. Il faut avoir entendu deux historiens savants racontant le même fait avéré pour savoir que la vérité n’existe pas et que l’Histoire est par essence révisionniste. Pourquoi faudrait-il que la machine soit moins fiable que les deux historiens ?

Du « distanciel » à l’avatar

La crise de la Covid et le confinement ont obligé tous les établissements d’enseignement à aménager les cours en distanciel, montrant qu’il était possible de travailler sans se déplacer physiquement. Les organisations s’ordonnent autour du travail à distance porté par un souffle de vertu écologique d’économie de déplacement, ce qui reste à prouver quand on connaît l’empreinte carbone d’un ordinateur. Il y a de nombreux risques à désarticuler l’entreprise par l’aménagement du travail à distance, la qualité du travail, de son identification sociale, le renforcement du contrôle aux dépens de la confiance, le recours aux entreprises de services plutôt qu’au salariat car pourquoi embaucher quelqu’un en contrat à durée indéterminée si on ne le voit jamais…
Mais et pour revenir à l’éducation, et c’est ce que révèle la plupart des études scientifiques, un cours à distance est plus difficilement mémorisable qu’un cours en présentiel. L’absence de contexte spatial rend l’apprentissage plus aléatoire, comme si on apprenait quelque chose à la condition de quelque part. « Je sais où je me trouvais quand la France a gagné la Coupe du Monde », la mémorisation du fait objectif est plus aisée par l’identification du lieu de l’apprentissage. Alors vive le présentiel !?…Assurément.

Alors arrive une autre « diablerie » : Il est probable que très rapidement le cours en distanciel soit remplacé par le cours par avatar interposé, avatar qui évoluera dans un espace virtuel qui compense le manque d’identification spatiale. Là encore, quelle place pour l’enseignant dans cet espace virtuel ? Il faut réinventer tous les modèles éducatifs, renaturer la relation du Maitre à l’élève.

Ce qui se passe dans les écoles de design et de création en témoigne et préfigure cette révolution. Les étudiants accompagnés par leur professeur de design partagent, testent éprouvent, reformulent. Ce sont les étudiants qui font les cours parce que c’est à eux qu’on demande d’avoir des idées créatives et innovantes. Le rôle de l’enseignant est de susciter le désir, la créativité, de ne jamais la contraindre, d’être l’acteur éclairé de quelque chose qui le dépasse. Son rôle est d’encourager, de permettre l’émergence d’idées nouvelles, d’accepter la transgression qui par essence va au-delà de l’intention, du savoir et de la connaissance. Il s’agit d’encourager, de corriger lors des moments de doute inhérents à tous cheminements dans l’inconnu, de rassurer en cas d’erreur et justifier ainsi de recommencer. Il s’agira également dans la fonction de l’enseignant d’étudier et de choisir les meilleurs logiciels et/ou cours en ligne plutôt que de les dispenser.

Chat GPT n’aura aucun mal à produire le savoir. Un clic et une question permettront de se passer du professeur. Mais l’intelligence artificielle ne pourra pas enseigner le désir, celui de l’étudiant, celui dont l’on attend la lumière.
Au moment des grandes échéances où les ressources viennent à manquer et le réchauffement climatique menace l’humanité, où Chat GPT, les avatars intelligents et autres diableries pourraient prendre le pouvoir, qu’attendre d’autres de nos élèves et de nos professeurs qu’ils renversent l’estrade et qu’ensemble ils bâtissent un monde meilleur et plus intelligent.

3 réflexions sur “Education, Chat GPT et autres diableries, ou l’estrade renversée.”

  1. Definitely believe that which you stated. Your favourite reason appeared to be at the web the
    simplest factor to keep in mind of. I say to you, I certainly get annoyed at the same time as other folks consider concerns that they plainly
    don’t recognise about. You controlled to hit the nail upon the highest and also
    defined out the whole thing without having side-effects ,
    other people could take a signal. Will likely be back to
    get more. Thanks

  2. I’ve been browsing online more than 2 hours today,
    yet I never found any interesting article like yours.
    It is pretty worth enough for me. In my view, if all website owners and bloggers made good content as
    you did, the internet will be a lot more useful than ever before.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *