Design, discipline de Management ? Oui, à la condition de s’affranchir du Design Management

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Il y a bien des façons de juger la qualité d’une formation en design. Pendant longtemps, celle-ci s’est étalonnée sur la qualité des projets de fin d’études, sur l’exposition de ceux-ci pour témoigner de l’esprit créatif des étudiants arrivés au terme de leur cursus. Le projet de fin d’études – comme naguère le « chef d’œuvre » du compagnon – suffisait à mesurer la performance de la formation reçue. Il témoignait de l’expertise technique et créative, il appartenait au jeune apprenti devenu Homme de faire sa vie en toute responsabilité. Ce n’est évidemment plus suffisant, l’exigence de qualité oblige désormais à d’autres références et notamment à préparer et à assurer autant qu’il est possible l’insertion professionnelle du jeune designer. Le taux d’insertion est une variable essentielle pour mesurer l’efficience des enseignements et des compétences transmis dans un établissement d’enseignement supérieur de design et de création. Beaucoup d’établissements ont intégré cette donnée, certains en font même un critère qui prime sur tous les autres. Il ne s’agit plus de former des étudiants créatifs mais des professionnels de la création aptes à s’insérer professionnellement et à évoluer au rythme de sa carrière.

Pour autant, une école de design dont le programme dure 5 ans ne peut pas se contenter du taux d’emploi juste après la remise du diplôme. La question qui est posée aujourd’hui est de mesurer l’évolution de la carrière des Alumni qui ont été diplômés il y a 5 ou 10 ans. Au-delà des compétences techniques, nos étudiants ont-ils reçus les savoirs, les compétences en communication, en gestion, en stratégie, les codes, les projections pour monter dans les hiérarchies à mesure de l’évolution des responsabilités qui pourraient leur être confiées. Le design est devenu stratégique pour toutes entreprises qui réfléchissent à leur avenir, nos designers sont-ils prêts et capables d’occuper les fonctions stratégiques et de rejoindre les fonctions du « top-management ». Il en va de la reconnaissance du design.

Force est de constater qu’il nous reste beaucoup de chemin à faire, car trop peu de designers même les plus fameux sont « chassés » pour occuper les places. L’entreprise ne pense que très rarement à eux pour assumer les fonctions de direction, les designers ne l’envisagent pas non plus. Il ne poserait pas problème à L’Oréal de nommer, par exemple, un Ingénieur comme directeur Marketing de l’entreprise, peu de chance qu’elle envisage d’y nommer un designer.
Peu de chance également qu’un designer pense qu’il puisse l’être. Il vous répondra que cela ne l’intéresse pas. N’est ce pas parce qu’il n’y a jamais pensé et que personne ne lui a dit durant sa formation ou sa carrière que c’était possible ? Les designers réfléchissent tous les jours la société de demain, mais aucun n’envisagent de devenir député, ministre, maire…pour témoigner de sa représentation du monde alors que c’est là que le designer serait utile. Dans les parlements européens, des architectes mais très peu de designers sont représentés comme si leur vision du monde était réduite aux tables, aux chaises, et aux belles lampes… « Je suis directeur Marketing, je suis député, je suis Ministre…parce que je suis designer » devrait être une exigence pour incarner le design. Le designer devrait le comprendre. Malheureusement, le népotisme et le corporatisme professionnel réduit souvent sa fonction à sa capacité à créer, rarement à prévoir, animer, organiser, rassembler, donner du sens à un travail en équipe…toutes les qualités d’un Manager. Or, le design est devenu une discipline de Management.

L’imposture du design Management

Il faut déplorer ce que les « chercheurs » ont fait du « design Management », une tentative vaine et réductrice de faire du design une discipline de gestion. Les ouvrages de design management sont en général d’une indigence intellectuelle et scientifique remarquable, de ceux qu’on lit en 1 heure et desquels on n’apprend rien. Il s’agit de répondre à la question de savoir si le design est ou non générateur de valeur ajoutée. Pas besoin de faire beaucoup de recherche, la réponse est quelquefois oui, quelquefois non. Comment mesurer la performance économique d’une cocotte-minute dessinée par un ingénieur, de celle dessinée par un designer. La réponse est intuitive, elle s’explique mais est-elle scientifique ? Faut-il se perdre à distinguer scientifiquement le sexe des anges ? Le problème est que cette justification même avérée sera si peu convaincante qu’elle ne fera immédiatement qu’encourager ce que l’on veut interdire, le doute. Tous les théoriciens du « Design Management « n’ont fait qu’entretenir le doute sur la pertinence du design. Il est temps de l’affirmer. Vouloir réduire le design à une discipline de gestion et de valeur ajoutée est une vanité de chercheurs en manque de reconnaissance.

Strategic Design

Le design mérite une autre considération. Sa reconnaissance passe par celle de sa pertinence stratégique. Représenter la façon de vivre demain, c’est permettre aux entreprises et à la société en général de réfléchir tactiquement à leurs nouveaux produits, leurs nouveaux services, mais surtout à guider stratégiquement toutes leurs innovations et même leurs transformations à venir. Le design a pour fonction de représenter demain, de lui donner réalité et objectivité. C’est autour de cette objectivité qu’il convient de donner sens. La plupart des entreprises vont notamment devoir intégrer l’émergence de la conscience « écologique » des marchés, elle ne pourra pas produire ni vendre comme elles le faisaient naguère, beaucoup d’entre elles vont devoir passer du produit aux services pour pallier les affres de la surconsommation – naguère vertueuse – du renouvellement des marchés et quelquefois de l’obsolescence programmée. Le design va jouer un rôle moteur dans ces transformations, comme conciliateur entre la technologie, par nature dénuée de sens et de morale, et le Marketing dont le socle est la consommation qu’il va falloir réduire ou adapter. La responsabilité sociétale de l’entreprise n’est pas une exigence morale comme on voudrait le faire croire, c’est une exigence économique face aux nouveaux impératifs des marchés. Le design est au cœur de cette évolution. Il en va de la transformation des entreprises, de leur rentabilité et de leur pérennité.

L’évolution des contextes économiques, sociologiques, technologiques bouleversent radicalement les environnements et de plus en plus rapidement. L’entreprise n’a le choix que de s’ordonner autour de sa capacité à muter en permanence, c’est probablement pour cela que les structures hiérarchiques, naguère lourdes à bouger, vont devoir s’aplanir pour s’adapter plus rapidement. Il faut des structures agiles et des personnels non effrayés par le changement, ce qu’ils sont par nature. Hier est rassurant, demain nous projette dans l’inconnu. Le design est par nature le catalyseur de ce management visionnaire et performant, il lève le voile sur demain et le rend appréciable pour toutes les catégories de personnel en même temps qu’ils les fédèrent autour d’un avenir commun. Le designer est ce manager, leader, chef de projet, capable de mettre autour de la table, les ingénieurs, les marketers, les financiers et d’autres compétences en dehors de l’entreprise, les sociologues, les philosophes, les scientifiques…et de les faire réfléchir au fond à la question : « Dans quel monde voulons nous vivre demain ? ».

Au-delà cette spéculation, il a la responsabilité entrepreneuriale d’en fixer les formes et de le fabriquer.

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