Le « Design by France » va bien au-delà du « Made in France »

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Que veut dire « Made in France » quand il s’agit d’acheter une voiture ou tout autre produit résultant de l’assemblage de pièces détachées. Ce concept n’est-il pas contreproductif à l’industrie française ? N’y a-t-il pas une autre voie, celle de l’innovation, de la recherche, du design ? Celle du « Designed by France ».

S’il vous prenait l’envie de faire votre « devoir », de participer au redressement productif des filières industrielles françaises, et d’acheter une voiture, vous iriez chez Renault. On vous informerait que les véhicules sont assemblés en Espagne, au Maroc ou ailleurs et qu’en aucun cas, elles sont « Made in France ». Puis chez Peugeot ? D’où viennent les pare-brises, les sièges, les moquettes, le GPS… et si les véhicules sont assemblés en France, ils n’en sont pas moins « Made in the world ». Peugeot comme toutes les entreprises industrielles doit une part de sa compétitivité à sa capacité à acheter à l’étranger et donc à importer des pièces auprès de sous-traitants du monde entier. Peugeot participe de la génération de la valeur ajoutée chez tous ses sous-traitants. Mais combien sont français ?

L’Organisation Mondiale du Commerce nous apprend que 60 % des échanges commerciaux concernent des composants et des pièces détachées « Made in the world ». La compétitivité des entreprises passe par la gestion d’un approvisionnement international de qualité. Si d’aventure, une industrie assemblant en France devait compenser une compétitivité affectée par le coût du travail sur le territoire, par une pression supplémentaire sur son approvisionnement, elle entrainerait immédiatement des difficultés chez ses sous-traitants français soumis alors à une compétition internationale soudain plus agressive.

Le « Made in France » devient contre-productif. De même, faut-il croire qu’un « steak » transformé en France à partir d’un bœuf élevé en Bretagne ou dans le Limousin est « Made in France » ? Peut-être, mais sous réserve d’avoir validé s’il n’a pas été nourri par des tourteaux de soja brésilien et combien cela représente-t-il dans la génération de la valeur ajoutée. Il ne faudrait pas que les subventions européennes aux filières d’élevage ne servent qu’à financer les pertes et enrichir au même moment le céréalier sud-américain. Que signifie « Made in France », faut-il y croire ?

L’argument commercial développé par certaines entreprises ne me paraît pas convenable. Faut-il donner crédit au devoir moral d’un chef d’entreprise qui vendrait des produits français par devoir. Les entreprises fabriquent et vendent des produits par intérêt, toujours. Dire qu’elles le font par devoir n’est pas convenable. Comment croire qu’une entreprise pourrait affecter sa compétitivité et obérer sa capacité à développer son chiffre d’affaires et ses marges par « devoir patriotique ».

Ce serait d’ailleurs tout à fait contre-productif à générer de l’emploi ou de la contribution sociale. Que dire dès lors des hypermarchés qui se dotent de rayons « Made in France » et s’érigent en parangons de la vertu. C’est oublier qu’à 50 mètres de là, se trouve leur rayon textile « made in China » qui ne me semble pas avoir en son temps soutenu très ardemment la filière textile française. Il ne s’agit pas de reprocher aux distributeurs de vendre « chinois » et de faire du commerce, mais faire croire qu’ils vendent des produits « Made in France » par devoir est faux.

Les patrons de la grande distribution sont de grands entrepreneurs, des gestionnaires, des formidables commerçants, et pour cela, chapeau bas ! Ils ont su profiter à plein du développement de la consommation et des leviers financiers sur leurs encours de trésorerie, mais, aux dépens quelquefois de petites entreprises fournisseurs qui ne bénéficient pas des mêmes largesses auprès de leur banquier. Les entreprises de distribution font partie des exemples de réussite du savoir-faire entrepreneurial de la France et peuvent légitimement être montrées en exemple.

Leur modèle est reconnu et participe du rayonnement français à l’étranger. Mais faire croire que l’on vend « pas cher » ou « Made in France » par devoir social ou patriotique est indécent, voire immoral. Le concept « Made in France » est intéressant, mais il doit être élargi. Il témoigne d’une préoccupation, entre autres, qui est de garder notre industrie en France et d’éviter la délocalisation des emplois. On peut comprendre également qu’il puisse être utile à certaines entreprises qui améliorent ainsi l’image, la notoriété de leurs produits et la qualité de leur produit par un circuit court d’approvisionnement. Il en va de l’augmentation de la valeur ajoutée produite, ce qui est le moindre des critères d’une bonne gestion.

Mais, il faut passer à autre chose. « Made in France » est basé sur deux paradigmes surannés, deux paradigmes du vieux monde productif : celui du commerce bilatéral – je conçois, je produis dans un pays et je vends dans un autre. Le monde globalisé oblige à un modèle différent. Sauf à penser que le coût de l’énergie – ou même la conscience écologique – oblige à terme à privilégier les circuits courts, l’approvisionnement en composants et pièces détachées est planétaire et l’exigence de la compétitivité oblige souvent à « aller de plus en plus loin ». L’autre paradigme est celui de la compétitivité basée sur la productivité, le rendement et la qualité. Pendant 150 ans, les entreprises industrielles ont fonctionné avec le moteur suivant : « Comment faire de mieux en mieux ce que l’on sait faire ».

En faisant de mieux en mieux, elles font plus et mieux que leur concurrence et peuvent se distinguer. Elles sont plus compétitives. Mais ce modèle est vain dorénavant pour beaucoup d’entreprises occidentales. Car ce paradigme ne fonctionne qu’à la condition que la compétition soit loyale. Les pays émergents sont arrivés, ils produisent pour beaucoup moins cher et la compétition n’est plus équilibrée. Et dans bien des secteurs d’activités, vous pouvez vous acharner à faire de mieux en mieux ce que vous savez faire, vous n’arriverez pas à faire moins cher que les Chinois ou d’autres.

La compétition est vaine. Pendant 30 ans, on a prétendu que les Chinois, les Indiens, et les autres ne pourraient pas produire d’aussi bonne qualité que les entreprises occidentales. C’est un propos qu’on entend encore de temps en temps. Quelle arrogance ! Il y a en Chine et ailleurs des usines ultra-modernes, et des employés qui ont acquis tous les savoir-faire. Vouloir aujourd’hui les battre sur le terrain de la compétitivité du rendement et de la qualité est dans bien des secteurs sans issue. Alors que faire ? Passer au « Designed by » et privilégier l’innovation : « Faire autre chose avec ce que l’on sait faire ».

Le « Made in France » est vain pour beaucoup d’entreprises et même culpabilisant. Comment cette entreprise sous-traitante de l’automobile soumise à la concurrence des pays émergents, abandonnés par ses donneurs d’ordre peut-elle faire du « Made in France » ? Le vouloir ou lui imposer, c’est la précipiter à la faillite. Il faut changer de paradigme. Pour elle, il ne s’agit pas « de faire de mieux en mieux ce qu’elle sait faire ». Il s’agit de faire autre chose ou de ne plus rien faire.

Confronté au marché mondial, son salut passe par sa capacité à s’adapter, à muter, à changer de marché, de métier, à passer du produit au service, de la production à la conception. « Faire autrement et/ou autre chose avec ce que l’on sait faire » est le paradigme du « Designed by ». Apple est emblématique de ce paradigme industriel de l’innovation : informatique, communication, internet, vente de musique – on vient de passer à 25 milliards de téléchargements iTunes – téléphonie, service sur iPhone, et puis l’iPad dont la fonction est déterminée par son utilisateur, comme si l’on passait d’une économie de la consommation à celle de la contribution.

On apprend que Apple travaille actuellement sur des montres interactives et demain la télévision, le cinéma peut-être… Au dos des produits Apple, il est mentionné « Designed by Apple – Assembled in China ». L’OMC nous apprend que sur un iPad, valeur 150 USD sous douane, c’est moins de 5 % qui ira en Chine pour payer l’assemblage. Le reste sert à payer la conception, le design, la recherche, l’innovation, le marketing et va aux États-Unis. C’est de l’emploi américain, de la richesse générée pour l’entreprise et la société américaine, de la capacité à réinvestir en recherche, en innovation, en design… C’est du « redressement productif » pour les États-Unis.

C’est par leur capacité à innover, à muter, à changer de métier que les entreprises françaises vont pouvoir garder leur compétitivité, leur outil de production, leurs emplois. C’est dans la recherche et l’innovation, le marketing, le design, la formation des hommes et des femmes, ceux qui seront les acteurs des mutations à venir qu’il faut investir. La formation au changement et l’acquisition de nouvelles compétences nécessaires aux nouveaux métiers de l’entreprise sont déterminantes. L’innovation donne du sens économique, mais aussi social si l’on accompagne le changement.

Changer, c’est retrouver de l’espoir au moment où les augures sont si anxiogènes. Le « Designed by France » est plus pertinent, plus riche que le « Made in France ». Il ne s’y oppose pas, il l’inclut. Rien n’empêche de fabriquer en France en effet, en même temps que l’on valorise l’approche culturelle différenciatrice de la marque et/ou de l’origine. Pour beaucoup d’entreprises qui revendiquent le « Made in France », il s’agit d’affirmer la qualité française qui est un critère de perception générateur de valeur ajoutée. Le « Designed by France » lui donne plus d’écho. Il témoigne d’une qualité industrielle, mais aussi culturelle, celle de l’innovation et de la création, du « bon goût » français, de la « French touch ».

Ce concept est beaucoup plus propice à défendre les entreprises françaises, car il témoigne de la formidable reconnaissance de la création française sur laquelle notre industrie peut capitaliser. La France est assise sur un formidable vecteur de valeur ajoutée : sa culture de la création identifiée internationalement. La création, le design français représentent un formidable atout sur les marchés internationaux.

Il s’agit de profiter de cela plutôt que de vouloir justifier d’une qualité industrielle de production qui ne nous permet plus de faire la différence. Ce n’est pas le « Made in France » qui va permettre aux entreprises françaises de conquérir les marchés de demain, la Chine, l’Inde, le Brésil. Le « Designed by France » le pourra à la condition d’investir massivement dans le design, une réflexion stratégique sur le changement et l’innovation. « Made in France ». Au secours ! Vive le « Designed by France ».

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