Design et Responsabilité Sociétale de l’entreprise : par devoir ou par intérêt ?

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La présentation récente d’une conférence auprès des Dirigeants Régionaux de l’Ouest – DRO – m’a amené à réfléchir sur les liens entre la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise et le design, et à m’interroger sur la responsabilité du designer. Et si celui-ci incarnait  « l’entreprise durable » ?…

Le Chief Design Officer d’une multinationale de produits d’hygiène nous expliquait lors d’une conférence à Denver en 2011, l’ensemble de la démarche d’éco-conception qui avait prévalu à la suppression du sur-packaging en carton d’un produit de grande consommation de solution dentaire. Il s’agissait de revoir la forme du flacon, son ergonomie, son coût, l’image véhiculée par le matériau, le « facing », le graphisme… et toutes les informations figurant directement sur le produit puisqu’il n’était plus possible d’y adjoindre une notice d’utilisation.

Son intervention s’inscrivait dans une logique de « Responsabilité sociétale de l’entreprise » ou RSE. Celle-ci consiste à inscrire l’action de l’entreprise dans une logique vertueuse de responsabilité vis à vis de l’environnement, sa « contribution aux enjeux du développement durable ».

Supprimer le « sur-packaging », c’est effectivement « sauver » des hectares de forêts et la démarche est vertueuse.

Néanmoins, à la question « combien cette intervention avait coûté ? », il répondait qu’au contraire il avait fait économiser beaucoup d’argent à l’entreprise. La question était alors posée : la démarche était-elle guidée par la responsabilité, le devoir ou bien par l’intérêt ?

De même, les plus grands hôtels demandent aujourd’hui de bien vouloir veiller à réutiliser les serviettes de bain au prétexte d’économiser de l’eau et des lavages polluants. Devoir ou intérêt… de l’hôtelier qui voit là le moyen d’améliorer ses marges ? Responsabilité Sociétale ou gestion intelligente ? Les deux évidemment et tant mieux.

La 1ère responsabilité d’une entreprise est de générer de la valeur ajoutée.  Et faire croire que son action est guidée par le devoir est vain. Elle produit, elle vend toujours par intérêt. Et pour peu que cela soit conforme à la Morale, c’est salutaire. Car la valeur ajoutée n’est rien d’autre que de la richesse produite, celle dont on peut attendre qu’elle soit équitablement redistribuée au bénéfice de ceux qui font l’entreprise d’abord et de la société toute entière ensuite.

Force est de constater malheureusement que la redistribution de la valeur ajoutée produite est aujourd’hui sujette à caution. « L’argent allant à l’argent »,  les inégalités s’aggravent. Le fossé entre les riches et les pauvres se creuse.  La richesse n’est pas équitablement répartie et les politiques semblent désarmés devant la nécessité d’un rééquilibrage. Marx avait prédit la fin du capitalisme foulé par les prolétaires,  par les intellectuels pour Schumpeter. Ironie de l’Histoire, ce sont peut-être les financiers qui vont finir par le mettre à terre, comme le chien qui mord la main du maître qui lui donne à manger.

Néanmoins, et rapport aux acteurs économiques, c’est bien la valeur ajoutée produite qu’il faut louer.  Et, la 1ère Responsabilité Sociétale de l’Entreprise est d’en générer. Si l’on veut que les entreprises s’occupent d’environnement, il conviendrait de faire en sorte préalablement de les rendre compétitives. Sans capacité à générer de la valeur ajoutée, pas de salut.

Alors quid de l’environnement, du développement durable, de l’action vertueuse à sauver la planète, quid de la responsabilité sociétale puisque tout n’est qu’intérêt… Et bien, c’est un formidable levier pour repenser l’entreprise, la faire évoluer, la faire réfléchir sur les enjeux de son environnement, sur le management de ses équipes, de les fédérer autour de projets d’innovation en donnant du sens à leurs actions. D’autant que les mutations qui les attendent vont générer énormément d’interrogations voire de résistance. Le changement est toujours source d’inquiétudes, sauf à donner de l’espoir, des valeurs, du sens.

La RSE, c’est l’occasion pour l’entreprise d’adapter ses produits aux nouveaux marchés, ceux qui plus responsables vont réclamer des produits plus « propres », plus « sûrs »,  plus « durables ».

Les entreprises doivent muter, s’adapter à la globalisation, à la société de contribution,  celle décrite par le philosophe Stiegler, qui va voir les consommateurs participer de plus en plus à la production des produits et des services qu’ils se rendent à eux-mêmes.  S’adapter également aux enjeux de la modification des comportements des marchés de grande consommation. Qu’arrivera-t-il aux entreprises qui fondent leur modèle industriel et commercial sur le renouvellement des marchés alors qu’il n’est plus raisonnable de changer de lave-vaisselle, de voiture ou de photocopieur tous les 3 ans.  Les industries de produits de consommation se préparent à muter de la production de biens à la production de services faute de quoi elles n’existeront plus. Le prétexte de la responsabilité sociétale a le mérite de la vertu pour s’interroger sur de tels enjeux en matière de mutation et de pérennité des entreprises.

Le designer est porteur de cette responsabilité. Le design est né de la volonté de réhabiliter l’Homme dans le processus industriel alors que la machine et l’organisation scientifique de la production, basée sur le rendement, tendaient à l’aliéner.

Son rôle est d’anticiper les usages, de les représenter, de leur donner vie, de leur donner sens. Il est évident qu’il s’agit d’améliorer ce qui peut l’être, et faire œuvre de progrès. La démarche du designer est par essence humaniste. « Il faut changer le monde, mais quelle forme lui donner ? » s’interroge Marx, là est l’enjeu de son travail et de ses réponses. Et dans ce formidable moment où il faut repenser le capitalisme soumis à une crise systémique, où il faut repenser l’entreprise, il s’agit pour lui de replacer l’économique au service du progrès alors que tous les mécanismes du marché l’orientent vers le financier.  La RSE est l’ADN du designer, il en est son moteur toujours.

Elsebeth Gerneer Nielsen, recteur de l’université de design de Kolding au Danemark écrit «  Les entreprises du 20ème siècle se sont posées la question de ce qui est technologiquement possible et économiquement profitable, celle du 21ème doivent se poser la question de ce qui fait sens ».  LA RSE c’est donner du sens aux profondes mutations à venir. Et le designer a évidemment une responsabilité pour interroger, animer, entrainer les entreprises. Faire que l’innovation soit vertueuse, c’est lui donner du sens au delà de son aspect économique qui en est son moteur premier.

La RSE est un formidable moyen de générer de la valeur ajoutée : au fond, c’est cela qui est vertueux. Soyons vigilants à ne pas confondre « devoir » et « intérêt », Toyota ne fait pas des voitures hybrides par devoir mais parce que la « conscience écologique » de son marché est en train de naître et qu’il y a là une formidable opportunité économique.  Rien d’immoral dans tout cela et  n’allons pas chercher de la vertu et de la morale là où il n’y en a aucune. Toyota, c’est des millions d’emplois dans le monde et cela est bon.

Sauf à inventer un monde sans voiture… On peut toujours rêver…

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