Le récent rapport « Design in Tech 2017 » rédigé par un groupe de scientifiques Américains autour de John Maeda(*) fait le point sur l’évolution du design et du métier de designer au moment où les entreprises se tournent vers l’innovation pour appréhender les incertitudes à venir.
Le design est devenu une discipline stratégique dans les entreprises qui n’ont d’autres choix que de se tourner vers l’innovation pour appréhender les transitions écologiques, énergétiques, digitales, économiques, sociologiques… des transitions qui nécessitent de prévoir et d’anticiper les usages, les marchés, les réseaux de distribution nouveaux… qui révolutionnent nos approches de production et marketing. Les capacités à produire et/ou à vendre ne sont plus seules au centre des préoccupations organisationnelles. La capacité à évoluer et à s’adapter en permanence, la flexibilité et l’agilité des structures et des personnels, deviennent primordiales dans les organisations du 21ème siècle.
Les organisations doivent être flexibles et être en capacité permanente de « faire autre chose avec ce qu’elles savent faire », nouveau paradigme industriel qui se substitue à celui du management scientifique « faire de mieux en mieux ce que l’on sait faire ». L’entreprise du 21ème siècle doit être capable de changer de métier aussi facilement que les usages et les marchés se retournent. Au-delà des machines, des robots dont on pourra programmer le changement, ce sont les Hommes, leur talent à innover et à s’adapter rapidement qui feront la performance.
Dans ce contexte, le design, cette formidable discipline qui consiste à représenter l’avenir, à en proposer des images, devient stratégique. Le designer apporte cette compétence-clé avec cette capacité à rendre objectifs des produits, des services, des organisations en même temps que son pouvoir de « suggérer demain » le rend responsable de fédérer toutes les compétences de l’entreprise – techniques, financières et marketing – autour d’une projection viable, acceptable et préhensible. L’avenir des entreprises passe par le design.
Le designer donne forme à demain pour pallier l’incertitude de ce dernier et son altérité, génératrices de stress, d’immobilisme et de contre-performance.
Le métier de designer évolue donc à mesure que ses responsabilités consistent à piloter l’entreprise et à assurer le leadership des projets d’innovation. Il sort de sa gangue de technicien de la création pour occuper les positions les plus stratégiques dans les organigrammes. Les plus grandes « Business Schools » intègrent les programmes de « design thinking » dont la réflexion n’est jamais aussi puissante que quand il est porté par les designers eux-mêmes. Réfléchir est autant un exercice de l’esprit que de la main qui donne forme et réalité.
Autre enseignement du rapport « Design in Tech 2017 », la pertinence du design et l’implication des designers dans la création de start-ups. Aux États-Unis, en Chine, ailleurs, les designers sont de plus en plus sollicités dans la création d’entreprises innovantes. Alibaba, Visual China, Xiaomi ont été fondés par des équipes intégrant plusieurs designers. Le designer est devenu entrepreneur. Probablement parce que le « Design Thinking » ne suffit pas. Le designer est l’artisan du « Design Doing », il est entrepreneur de ses propres projets qui ne valent rien s’ils restent au stade de l’idée.
Les compétences des designers ont évolué. Les capacités à lever des fonds, à les gérer et à manager les structures deviennent patentes. Au point même qu’elles pourraient modifier les rapports au capitalisme, moins mécanique et plus lié au talent et à l’éthique de ceux qui l’incarnent.
Le rapport nous apprend par ailleurs que l’avenir du design est digital. Comment pourrait-il en être autrement au moment où la culture digitale traverse tous les secteurs, toutes les disciplines, et va bouleverser tous nos environnements économiques et sociaux. L’apprentissage de la culture digitale, du codage, des langages de programmation vont devenir essentiels à la pratique du design. Ils sont les nouveaux outils à côté desquels les designers ne pourront pas passer sans se les approprier. Le codage pourrait devenir aussi primordial que dessiner.
Enfin, le designer va avoir dans les années à venir un rôle clé dans cette réflexion autour de la place de l’humain dans la société. Historiquement, le design s’est développé à partir d’une réflexion à replacer les valeurs sémantiques de l’artisanat dans les entreprises industrielles. Au moment où l’on parle de substitution de l’Homme par le robot, où l’on parle de la fin de l’ère (du) travail, la question de la place de l’Humain dans l’appareil industriel et plus généralement dans la société doit être au centre des préoccupations des designers. Il ne s’agit pas de science et de technologie, ni de business, il s’agit d’humanisme.
(*) https://fr.slideshare.net/johnmaeda/design-in-tech-report-2017/7-7johnmaedaBoth_the_2015_and_2016